13. LES ASSAUTS D'UN EMPIRE EN DÉCOMPOSITION

Publié le par Jean-Claude Alleaume




À L'ÉPOQUE OU JÉSUS NAISSAIT EN JUDÉE, LE GLORIEUX EMPIRE DE ROME, nous l’avons dit, portait déjà en lui les virus de la décadence : l'élite corrompue, les mœurs dissolues, la famille disloquée par le divorce et l'adul­tère, les graves déséquilibres sociaux entre le luxe effréné de l'aristocratie et la condition misérable des esclaves. Le mal n'avait cessé de s'aggraver. Au point où nous sommes arrivés dans notre récit, l'aristocratie romaine, toute occupée à se diver­tir, à défendre ses privilèges et à fomenter des complots, a délaissé le travail productif et le service de l'État. Or, l'histoire témoigne que semblable décomposition de l'élite conduit inéluctablement à la chute des régimes les mieux accrochés, comme ce fut le cas, par exemple, de la monarchie fran­çaise au XVIIIe siècle. En cette fin du IIe siècle, l'Empire de Rome est ainsi engagé sur une pente fatale.


Illustration : Le Ponte Milvio, où eu lieu la bataille remportée par Constantin sur son rival Maxence
 

L'Eglise, elle, au contraire, est en plein essor et l'héroïsme de ses martyrs contribue à renforcer sa con­fiance dans le destin que le Christ lui a assigné : “Nous nous multiplions quand vous nous moissonnez”, lance fièrement l'écrivain chrétien Tertullien à l'adresse des Romains qui persé­cutent ses frères et ses sœurs. Durant tout ce IIIe siècle qui commence, le contraste entre le déclin de l'Empire et l'affermissement de l'Eglise sera frappant.

 

Après l'assassinat de Commode (192), pendant un an l'anarchie et la guerre civile s'installent à Rome. L'homme fort qui dénoue la crise est un soldat venu d'Afrique : Septime-Sévère (193-211). Réaliste, il pra­tique d'abord une politique de tolérance et d'apaisement. Mais en 202, pour mater les “vieux Romains” qui méprisent ses origines africaines, il durcit ses positions. Et les chrétiens ne tardent pas à faire les frais de ce changement d'attitude. Donner ou recevoir le baptême devient alors un délit passible de mort. 

 

Avec Septime-Sévère, l'histoire de la persécution prend un tournant dramatique. Le rescrit de Trajan, en vigueur jusque-là, stipulait qu'il ne fallait pas rechercher les chrétiens ; désormais, en vertu de la loi nouvelle, fonctionnaires et magistrats poursuivront méthodiquement tous ceux qui adhèrent à l'Evangile. Alors les procès se multiplieront, à la fois simples et grandioses : “Tu es chrétien ? — Oui, je suis chré­tien”.  Le supplice est au bout.

 

En Afrique du Nord, dans l'arène de Carthage, le 7 mars 203, la patricienne Perpétue, 22 ans, et l'esclave Félicité mêlent leur sang pour porter témoignage au Christ. Les chrétiens propageront et liront avec avidité le récit de leur supplice, car, à cette époque, le martyre n'est pas considéré comme un témoignage isolé, mais comme celui de la communauté tout entière que galvanise le courage de ses héros. C'est ce qui explique, selon le mot de Tertullien, que le sang des martyrs devient une véritable “semence de chrétiens”.

 

Après la mort de Septime-Sévère, l'Église jouit d'une assez longue période de paix. En effet, les deux empereurs qui succèdent à Septime-Sévère, Caracalla (211-217) et Elagabal (218-222), sont si absorbés par leurs débauches qu'ils n'ont pas le temps de persécuter les chrétiens. Tous deux meurent assassinés. Le successeur d'Elagabal se nomme Alexandre Sévère, esprit ouvert qui se montre même favorable au christianisme. Il n'empêche que c'est sous son règne que le pape Calliste est lapidé et jeté dans un puits au cours d'une émeute (14 octobre 222).

 

Mais voici qu'Alexandre Sévère est assassiné à son tour en 235, abattu par une rébellion militaire menée par Maximin le Thrace, qui devient ainsi le nouveau maître de Rome. Brutal et haineux, Maximin s’employa à renverser toutes les décisions de son prédécesseur. La persécution reprit et fit de nombreuses victimes, surtout parmi le clergé ; le pape Pontien et le prêtre Hippolyte furent du nombre. Mais Maximin connut bientôt, lui aussi, le sort commun des empereurs de cette époque. Il tomba sous les poignards de sa propre garde en 238.

 

Cette année 238 vit se succéder plusieurs empereurs : Gordien I et Gordien II furent tués en Afrique, Pupien et Balbin tour à tour assassinés. Gordien III (238-244) puis Philippe l'Arabe (244-249) optèrent pour une politique de réconciliation avec l'Église, qui retrouva ainsi un peu de paix avant d'affronter les heures tragiques qui l'attendaient. Mais il devenait de plus en plus évident que l'Empire courait à sa perte et que ses assauts contre l'Église ne parviendraient pas à infléchir le cours de son destin.

 

En 249, Dèce devint empereur et, pour tenter de juguler l'anarchie, il s'employa à restaurer les vieilles traditions qui avaient fait la gloire de Rome. Au nombre de ces traditions, le culte officiel de Rome et Auguste. L'édit de 250 y contraignit tous les habitants de l'Empire. La persécution fut alors si générale et si féroce que plusieurs chrétiens eurent la faiblesse de renier leur foi. Mais la majorité d'entre eux se mon­trèrent exemplaires, comme le pape Fabien, l'évêque Denis de Paris, et le jeune Polyeucte, qui alla jusqu'à provoquer les autorités romaines en déchirant publiquement l'édit impérial. L'année suivante, Dèce fut tué dans une bataille et le calme revint pour quelque temps.

 

Dans les premières années du règne de Valérien, rien ne faisait présager qu'il serait persécuteur.  Mais en accédant au pouvoir, en 253, il avait trouvé l'Empire en piteux état. Les finances allaient mal et, partout, les peuples se révoltaient. Il se laissa alors persuader par des magiciens de son entourage que ses malheurs étaient dus à sa tolérance à l'égard des chrétiens… parce qu'elle mécontentait les dieux ! C'est ainsi qu'en 257, il émit le premier de ses édits de persécution. Tandis que Dèce s'était fait persécuteur pour des rai­sons politiques, Valérien, lui, le fut pour des raisons qui relèvent de la superstition. Terrible épreuve qui fit des victimes dans tous les coins de l'Empire : le pape Sixte II et son diacre Laurent, l'évêque Cyprien de Carthage, des évêques, des prêtres, des fidèles en grand nombre, des enfants même, héros anonymes dont “Dieu seul connaît les noms”  — quorum nomina Deus scit —  se montrèrent fermes dans leur témoi­gnage au Christ.

 

Valérien eut une fin que beaucoup interprétèrent comme un juste châtiment : capturé par le roi de Perse en 260, il dut s'humilier devant son vainqueur. Son fils Gallien lui succéda. Aussitôt monté sur le trône, Gallien ordonna de cesser d'inquiéter les chrétiens en raison de leur foi et leur fit même restituer les biens qui leur avaient été confisqués. L'Eglise connut alors une période de paix, que l'histoire désigne comme la “Petite paix de l'Eglise”. 

 

Mais à la fin de ce IIIe siècle, l'Empire de Rome est à bout de souffle, miné par l'anarchie, les forces de sécession et les rivalités entre prétendants au trône. Un dernier et cruel assaut viendra sous le règne de Dioclétien. “La plus terrible des persécutions” commença en 295 et dura jusqu'à l'Édit de tolérance de Galère, en 311. La paix définitive, elle, surviendra en 313, par un édit, connu comme “l'Édit de Milan”, de l'empereur Constantin après qu'il eût triomphé de son rival Maxence, grâce, a-t-on dit, au “signe” du Christ dont il aurait paré l'enseigne de ses troupes.

Publié dans Histoire de l'Église

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