LA TRINITÉ QUI NOUS ATTIRE À ELLE

Publié le par Jean-Claude Alleaume


AVANT D’ÊTRE PRÉCISÉE PAR JÉSUS, LA RÉVÉLATION de la Sainte Trinitée est déjà contenue dans l’annonce faite à Marie : “L’Esprit Saint viendra sur toi, lui dit l’ange Gabriel, et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre ; c’est pourquoi l’enfant sera saint et sera appelé Fils de Dieu”
  (Luc 1, 35). Trois Personnes sont nommées : le Très Haut, le Fils de Dieu et l’Esprit Saint. De même, ces trois Personnes sont nommées lors du baptême de Jésus (Luc 3, 22). D’emblée, nous comprenons que la rédemption de l’humanité est l’œuvre de la Trinité tout entière. L’initiative du salut vient du Père, qui nous sauve par son Fils avec le concours de l’Esprit Saint.

 

Pour aborder le mystère de la Sainte Trinité, commençons par une remarque de bon sens. Pour que l’on puisse dire de quelqu’un qu’il est père, il faut qu’il ait un fils ou une fille. Personne n’est père par rapport à soi-même, mais par rapport à quelqu’un d’autre qui est son fils ou sa fille. Personne, non plus, n’est fils par rapport à soi-même, mais par rapport à quelqu’un d’autre qui est son père ou sa mère. Ainsi, tandis que les mots comme : Dieu, homme, cheval désignent des êtres par rapport à leur propre manière d’exister, les mots comme : père, mère, cousine, fiancé… indiquent des relations particulières entre des personnes et, pour cette raison, on dit qu’ils sont « relatifs ». Cette remarque aidera à comprendre ce qui va suivre.

 

En raison de certaines déviations dans la foi concernant la Sainte Trinité, le concile de Tolède réaffir­mait, en 675, qu’il n’y a qu’un seul Dieu, et précisait : “Le Père est Père, non pas par rapport à lui-même mais par rapport au Fils. Le Fils est Fils, non pas par rapport à lui-même mais par rapport au Père. De même, le Saint-Esprit ne se réfère pas à lui-même, mais il est le Saint-Esprit par rapport au Père et au Fils, parce qu’il est appelé l’Esprit du Père et l’Esprit du Fils”. Et le concile ajoutait : “Mais Dieu n’est référé qu’à lui-même”

“Dieu n’est référé qu’à lui-même”.
Cette expression est très forte. Le concile fait intervenir ici un de ces mots dont nous parlions plus haut et qui désignent les êtres en référence à leur propre nature, par rapport à leur propre manière d’exister. Cette expression signifie donc que Dieu se suffit à lui-même, qu’il est unique et qu’en dehors de lui il ne peut y avoir d’autre absolu. En dehors de Dieu, il n’y a que des créatures.
 Ainsi sont nettement affirmées, à la fois, l‘existence d’un Dieu unique et les relations éternelles qui distinguent les trois Personnes divines : le Père par rapport au Fils, le Fils par rapport au Père et le Saint-Esprit par rapport au Père et au Fils. Cette affirmation découle de la révélation du mystère de Dieu, que nous a faite le Seigneur Jésus Christ.

 

Jésus a affirmé sans ambiguïté que Dieu est Père et que lui-même est le propre Fils de Dieu. A plusieurs reprises il revendique son égalité à Dieu, son Père : “Qui n’honore pas le Fils n’honore pas non plus le Père qui l’a envoyé… Le Père et moi, nous sommes un… Qui m’a vu a vu le Père” (Jn 5,23 ; 10,30 ; 14,19). Et ses adversaires ne s’y trompaient pas. “Les Juifs, rapporte saint Jean, cherchaient à le faire mourir parce qu’il appelait Dieu son propre Père et se faisait l’égal de Dieu” (Jn 5, 18 ; 10, 33 ; cf. Mt 26, 63-64).

 

Jésus parle de l’Esprit Saint comme d’une vraie Personne, distincte du Père et du Fils. Il est le Paraclet, l’Avocat qui intercède auprès du Père en notre faveur (Jn 15, 7-15). Aucune confusion possible entre son action auprès des fidèles et celle du Fils : “Le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit” (Jn 14, 26). Jésus nous apprend encore que le Saint-Esprit procède, à la fois, du Père et du Fils : “Je ne vous l’ai pas dit dès le commencement, parce que j’étais avec vous. Maintenant je vais à Celui qui m’a envoyé… Il vaut mieux pour vous que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai” (Jn 16, 4-7 ; 16, 12-15). C’est le Saint-Esprit qui continue, dans l’Église, l’œuvre du salut accompli par le Fils.


 

La foi qui cherche à comprendre

 

Telles sont les données principales de la révélation du mystère de Dieu. Bien entendu, nous ne pourrons jamais le comprendre à fond car, entre la nature divine et nos facultés naturelles, il existe un abîme qui est, justement, le domaine du mystère. Néanmoins, nous pouvons chercher à comprendre, dans une certaine mesure, ce que Jésus nous a révélé. D’autant plus que Dieu, qui nous a créés à son image, a mis en nous une « étincelle » de son intelligence infinie. Un « fait de vie », comme on aimait à dire jadis, aidera notre réflexion.

 

Il y a une vingtaine d’années, un jeune couple me demanda de bénir sa maison. C’était une modeste maison entièrement bordée de tôle et se composant de deux étroites pièces : chambre à coucher et salle à manger, la cuisine se trouvant à l’extérieur. Quelle ne fut pas ma surprise, en entrant dans la chambre, d’y voir un lit superbe, le dossier fait de lamelles de bois de teck finement ajustées, rappelant les rayons du soleil. Je réalisai immédiatement que le couple n’avait pas les moyens de se payer un tel lit, et posai au jeune homme la question : “C’est toi qui as fait ce lit ?” Dans un large sourire, où je lisais sa fierté d’ouvrier en même temps que celle d’avoir offert ce chef-d’œuvre à son épouse, il me répondit : “Oui”. Et il m’expliqua qu’il était ébéniste et que son patron lui avait permis d’emporter les chutes de bois…

 

Je compris alors qu’un jour, dans son esprit, avait germé l’idée qu’en assemblant ces lamelles d’une certaine façon, il pouvait en faire le dossier du lit de son épouse. Notons bien ce point : avant de se trouver dans la chambre à coucher, ce lit n’avait été qu’une idée, une idée que lui seul pouvait connaître. Et ce lit, tel qu’il m’apparaissait, était la réplique plus ou moins exacte de ce qui n’avait été, au départ, qu’un pur produit de son intelligence, autant dire l’expression du meilleur de lui-même. De sorte que ce lit, il ne le voyait pas du même regard que moi. Par une consonance particulière, à la manière de deux cordes musicales vibrant à l’unisson, ce jeune ébéniste se retrouvait tout entier en ce lit. D’où la fierté qui irradiait de son sourire…

 

A la lumière de ce que nous a révélé Jésus Christ, transposons ces réflexions pour les porter sur Dieu. Dieu est Intelligence. Intelligence incréée, éternelle. Comme toute intelligence, Dieu pense, et sa pensée est identique à lui-même, donc éternelle. C’est cette Pensée éternelle que saint Jean désigne comme le Logos, le Verbe : “Au commencement le Verbe était, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu” (Jn 1, 1). Or, le Verbe, saint Jean l’identifie expressément à Jésus Christ, “le Fils unique qui est dans le sein du Père” (Jn 1, 17). Et Dieu se complait dans la Pensée qui émane de lui et qui est l’expression de lui-même, son Verbe, le “Fils bien-aimé” qui a toute sa faveur : “Le Père aime le Fils, et a tout remis en sa main”, dit Jésus (Jn 3, 35 ; cf. 5, 20).

 

Revenons à notre ébéniste. Lui aussi se complaisait dans son œuvre parce qu’il se reconnaissait dans ce lit, expression tangible de son idée ; mais le lit, objet inanimé, ne pouvait se complaire en lui. Au contraire, le Verbe, lui, sait qu’il est la Pensée éternelle du Père et qu’il a été engendré par l’Intelligence incréée : “Je suis dans le Père, et le Père est en moi”, dit Jésus (Jn 14, 11). Et il rend au Père tout l’amour que le Père lui porte. Ce courant d’amour qui va du Père au Fils et du Fils au Père, cette consonance parfaite que nous évoquions tout à l’heure, c’est l’Esprit Saint, Esprit du Père tourné vers son Fils et Esprit du Fils tourné vers son Père, souffle éternel de l’Amour éternel.

 


Le domaine du mystère

 

A partir de là, notre raison « plafonne », comme on dit… et s’ouvre le domaine du mystère. Car si nous avons l’expérience de la créativité humaine et des joies qu’elle apporte, nous n’avons aucune expérience (humaine) de la vie divine dans son éternité. Seule la grâce de la foi nous permet d’accueillir la révélation du mystère et d’accéder à une expérience intime de la vie de Dieu par cette sorte d’intuition que saint Paul appelle “les soupirs ineffables de l’Esprit” (Rom 8, 26). n

Publié dans Religion

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